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MERDALOR
( BOUDIN )
J. Margueritte à la jeune femme :
« Enfin j'abrège, j'me rends à la ferme au Six Sous.
Sa fille, l'Adeline, je l'ai connue quand'te elle était toute
gamine, bien... bien avant qu'elle ai marié le fils Pimpol de la
boucherie Pimpol, la boucherie qu'est située... qu'est située
dans la rue du... du... du docteur... zut'alors ! Non, pas du
Docteur Zutalors, du docteur du docteur du docteur... enfin
bref n'importe comment vous y trouverez pas d'autre
boucherie.
Bref, la ch'tite Adeline j'ai fait le service de table au déjeuner
pour son baptême, précisément à la ferme au Six Sous. Bien
avant qu’elle est mariée au Gaston Pimpol le fils de la
boucherie Pimpol rue du... rue du docteur, du docteur...
crott'alors... (Un temps de réflexion.)
Par parenthèse, je ne sais pas si vous aimez le boudin, mais
si vous aimez le boudin, j'achète toujours le boudin chez
Madame Pimpol : c'est du boudin de campagne, il est (il
brandit son pouce) esstra ! D'ailleurs ce soir je vais manger
une portion de boudin, c'est du boudin de la maison Pimpol.
Je vais bien me régaler.
La jeune femme vers la salle :
« Alors je ne vous dis pas, j'ai eu droit à un exposé sur le
boudin, le boudin qu'il mangeait cru...
Joseph Margueritte à la jeune femme :
« Le boudin je le fait pas cuire, je le mange cru...»
La jeune femme vers la salle :
— ... Merci ! Je meurs !
Joseph Margueritte toujours à la jeune femme :
« ... Je le mange cru.
Y a des gens qui peuvent pas le digérer. Il y a une dame qui
disait ça chez Pimpol l'autre jour... »
Vers la salle :
« C'est drôle, Madame Pimpol... Pimpol mère, elle est
toujours excessivement gentille avec moi, elle m'adore, je
sais pas pourquoi, c'est toujours du... : “ Monsieur Joseph ”
par-ci, ou du “ Monsieur Magui ” par là. Je sais pas pourquoi
mais je la fais rire, elle me fait rire aussi.
Qu'est-ce que j'disais donc ? Ah oui.
La jeune femme vers la salle :
Sur ce il me raconte une histoire de boudin qu’il serait trop
longue à raconter.
Joseph Margueritte vers la salle :
« L'autre jour à la boucherie Pimpol y a une dame qui disait :
‘’Excusez-moi Madame Pimpol, mais le boudin j'arrive pas à
le digérer.’’
Moi je lui dis :
« Je voudrais pas me mêler de ce qui me regarde pas...
Madame moi ici... j'ai dis, moi j'ai pas d'intérêts. Madame
Pimpol me donne pas de pourcentage... »
Alors évidemment le jeune Gaston... le jeune Gaston et puis
sa femme, l'Adeline, il a rigolé et puis il m'a cligné de l'oeil.
J'ai dis :
« Moi je touche pas de pourcentage pour faire vendre la
marchandise à Madame Pimpol, mais, j'ai dis, il y a une
chose certaine, vous mangez du boudin de la maison Pimpol
-- C'EST DU BOUDIN DE CAMPAGNE, il est (Il brandit son
pouce) esstra !
Bein, elle me dit : « J'aime bien le boudin de campagne...
mais, elle dit, celui là j'ai des renvois et chez le charcutier
aussi.»
Bein, j'ai dis : « Écoutez, vous avez pas besoin de mes
conseils pour faire à votre idée.
J'y ai dis, vous le mangerez tel que vous allez l'emmener de
chez Madame Pimpol, c'est à dire cru avec de la moutarde
et vous boirez quelque chose de chaud après, une infusion
ou quelque chose...»
Je lui dis : « C'est simple, vous n'avez pas besoin de pense-
bête.
Je lui dis, c'est une façon de parler, je me permettrais pas de
dire que vous êtes bête. D'autant plus que pour moi, je lui
dis, les bêtes, c'est souventes fois plus intelligent les bêtes
que beaucoup d'humains que j'connais... Et j'y ai dis, ça
s'adresse pas pour vous, ni pour Madame Pimpol mère, ni
pour Pimpol fils...
Et je dis, ça s'adresse encore moins pour la ch'tite Adline
qu'a oublié d'être bête, j'ai même servi le repas pour son
baptême...»
Alors là j'ai dis, ça s'adresserait peut-être pour moi par
contre... »
Là ils ont rigolé. Et puis j'y ai dis :
« Vous n'avez pas besoin d'une ordonnance ou quoi, vous
avez qu'à y r'tenir seulement comme je vais vous dire.
Vous allez prendre :
= Une part de boudin de la maison Pimpol, matin midi ou soir
c'est vous qui voyez,
= Un peu de moutarde, c'est toujours vous qui voyez,
= Et vous boirez, vous boirez, vous boirez quelque chose de
chaud après : une infusion ou quelque chose c'est vous qui
voyez ; ou, si vous mangez le boudin comme entrée ou au
déjeuner, vous avez un repas chaud dessus c'est très bien.
(Il met le pouce en avant.)
Je dis, moi je le mange le soir.
Je mange un morceau de boudin, j'en prends toujours deux
chez Madame Pimpol quand'te j'en prends.
Alors quelques fois ils y passent tous les deux le soir. J'les
mange avec de la moutarde.
Alors comme c'est froid; j'me fait réchauffer un bol ou un
demi bol de lait, un bout d'boudin du pain et un bol de lait
nature. (Il met le pouce en avant.)
Et j'ai dis, j'ai pas d'renvois. Même quand j'les fais à la poêle.
Je dis, ça m'arrive rarement de temps en temps parce que
j'ai un bon estomac mais ça m'arrive quelques fois que j'en
r'mange, pas excessivement longtemps, mais j'en r'mange.»
Je la re-rencontre, la dame, chez Madame Pimpol.
« Bein, elle me dit, Monsieur... que je me souviens plus votre
nom, mais je me souviens que c'est un joli nom, je vous
remercie bien de vos conseils que vous m'avez donnés. »
Et puis Madame Pimpol lui dit :
« Bein oui, les conseils à Monsieur Margueritte ça vous a
porté chance, ça vous a porté chance parce que ça fait
combien que vous lui ?... Quand t'est-ce que déjà donc ? »
J'ai dis :
« Bein ça doit bien faire la semaine dernière si je me trompe
pas. »
Elle lui dit :
« Et combien vous en avez pris ? »
Elle lui dit :
« Six morceaux.»
Puis elle dit :
« Mon mari ne l'aime pas, c'est moi qui les ai tous mangés. »
Et elle dit :
« J'ai plus eu d'renvois. »
Je lui dis :
« Il y a pas de raison, même pas de les rendre, parce que je
dis, ils sont pas volés. »
Alors là elle a encore rigolé. Et c'est là qu'elle m'a dit :
« Maintenant il faut que je rentre à la maison parce que j'ai
mon jeune chien qui est malade, le vétérinaire dit qu'il peut
rien y faire pour lui. »
Alors je dis :
« C'est pas pour vous vous commander ou quoi ou qu'est-
ce, mais vous devriez essayer de lui donner du boudin. Trois
fois par semaine. Et vous verrez, si au bout de deux mois
votre chien vit encore, il a des chances de vivre jusqu'à la fin
de sa vie. »
Elle m'a dit :
« Merci, on voit que vous aimez bien les animaux Monsieur
Margueritte. »
J Margueritte à la jeune femme :
« J'avais une bergère des Pyrénées qui était malade lorsque
j'étais chez les De Laguigne au Château de Castelbrandy, la
pauvre petite cocotte, tous les jours je lui filais le cigare... »
La jeune femme :
« Le cigare ? »
— Le cigare pour prendre la température. Le thermomètre.
La pauvre petite mère ! La pauvre petite mère me regardait
et elle avait la queue qui faisait ça (la queue entre les
jambes). Je lui disais : « Serre pas la queue ma petite
cocotte parce que je trouve plus le cigare après. » Elle a
jamais bougé.
J Margueritte vers la salle :
J'avais un vieux pull-over que la fermeture était malade, je lui
mettais sur le dos pour pas qu'elle attrape froid.
Si elle était couchée je lui mettais le thermo et pendant ce
temps là je mettais mon petit déjeuner sur le feu avec le
sien. Et je lui donnais du boudin. Elle aimait bien le boudin.
Oh ! un jour y a Madame la Baronne de Laguigne, la Reine-
mère comme on l'appelait, qui me dit :
« Mon p'tit Joseph votre chienne, qu'est-ce que vous lui avez
donc fait qu'elle était mal en point voilà pas si longtemps,
que maintenant elle a l'air en pleine forme ? »
Je lui ai dis :
« Madame la Baronne c'est pas compliqué, je lui donne du
boudin trois fois par semaine. »
Elle me dit :
« Mon petit Joseph est-ce que vous voudriez me rendre un
grand service ? »
— Oui Madame la Baronne.
— Quand'te vous irez prendre du boudin pour votre chienne
(en baissant un peu la voix) est-ce que vous pourriez pas
m'en prendre un peux pour moi aussi ?
— Madame la Baronne est malade ?
— Non mon petit Joseph rassurez-vous c'est pas pour moi,
ce serait pour Aldebert, je trouve qu'il va pas bien et qu'il a
mauvaise mine ces derniers temps. Croyez-vous qu'il
l'aimerait si je lui en donnait aussi, du boudin ?
— Ah bon ! excusez-moi Madame la Baronne vous m'avez
fait peur, j'aime mieux ça, enfin j'aime mieux ça pour vous,
mais reste que pour Aldebert c'est embêtant.
En tout cas n'importe comment, si ma chienne en mange,
Aldebert il devrait en manger lui aussi, je donnerais ma tête
à couper.
— Oh ! elle me dit, surtout n'en faites rien mon petit Joseph
je ne vous en demande pas tant ! »
À la jeune dame :
« Il me faisait marrer l'Aldebert. C'est marrant comme chien,
c'est tout petit, et puis il pouvait servir de chaufferette pour
les mains en hiver. Oui oui... On appelait ça : le chien
Madame... Ces p'tits chiens on les appelait aussi les p'tits
lèche... euh... mais enfin je vous laisse le choix de
deviner...»
La jeune femme à Magui :
« Ce ne sont pas ces chiens qu'on appelait aussi des chiens
de manchon ? »
— D'accord.
— J'ai entendu parler de ça, un chien qu'on glissait dans un
manchon de fourrure, et on mettait une main d'un côté et
l'autre main de l'autre ?
— D'accord.
N'importe comment, l’Aldebert, y aurait eu une autre
personne que Madame la Baronne qui lui aurait approché
une main sous le nez, même avec un sucre, chien Madame
aurait eu vite fait de lui emporter un doigt ou un morceau de
bidoche de la main.
Peu de temps après y la reine mère qui me croise dans la
cour, que j'allais porter son picotin au cheval à Monsieur
Edme, un ch'val alezan qu'avait une robe magnifique. Elle
me dit :
« Mon petit Joseph je ne sais pas comment vous remercier,
mais depuis qu'Aldebert fait sa cure de boudin, il a bien
meilleure mine il va beaucoup mieux. Seulement je suis un
peu embêtée parce que, maintenant qu'il y a pris goût, il veut
plus manger autre chose que du boudin. Je sais pas ce que
je pourrais bien lui donner d'autre ?»
Alors je... je lui ai dit...
Delavacherie. Merd'alors Delavacherie ! »
La jeune femme :
« De le vacherie ?»
— Oui Delavacherie, le docteur Delavacherie ! Il fallait bien
que ça me revienne...
La rue de la boucherie Pimpol... c'est la rue du docteur
Delavacherie. Un nom comme ça, ça devrait être interdit d’y
l'oublier. (Il marque un temps.)
Il a pas eu d'veine François, et ses soeurs non plus — les
petis enfant de la Baronne de Laguigne, la reine mère. Moi
ça m'fais mal au coeur. Comme y m'a dit l'François, il dit :
Couper l'château... en sept hein... ! »
J'ai dis :
« Ton père avait une drôle de mitrailleuse quand même... »
son père le Jean. Eh oui il y avait sept, il en a fait sept...
(Il se met à rire)
J'le vois encore son père en train de tourner la manivelle :
BON DIEU D'BON D'DIEU ! Joseph, elle partira la Donnay !
Et puis il y avait les jeunes :
« Partira, partira pas, partira, partira pas, partira... »
Et puis moi j'le craignais pas l'père de la Guigne.
Quéqu'fois j'y disais : « Bougez pas, Monsieur l'Baron ne
bougez pas j'vous en prie ne bougez pas. J'lui ai dit vous
commencez à m'porter sur les nerfs, j'ai dis laissez moi
faire.»
— Laissez là la manivelle et allez vous assoir sur le palier.
— Je suis plus l'patron alors ?
— Des coup d'temps comme ça, les domestiques font les
patrons et puis les patrons font les domestiques.
Alors assoyez-vous j'vous prie ça m'f'ra plaisir. »
(Il fait mine de tourner une manivelle)
“ Teuc teuc tuec ! ”
« Comment qu'tu fais ? »
Toutes ces anciennes voitures là il faut y mettre les gaz, il y
avait les gaz à la main et au pied. Si on leur donnait pas
assez à boire elles pouvaient pas partir.
Alors quand c'était le père François de la Guigne qui faisait
ça lui, quéqu'fois il y avait tout une bande de jeunes
qu'étaient là :
« Elle partira, elle partira pas, elle partira, elle partira pas. »
J Margueritte vers la salle :
« Oh ! une voiture qui m'a fait d'la misère au Château de
Vésignole, c'est la P.L.S.S. Et alors ça, faut surtout pas
oublier, faut pas être négligent avec les moteurs. Parce que
ça, ça vous fait d'l'essence mais ça vous fait d'l'huile aussi. »
La jeune femme à Magui :
« Si j'comprends bien, vous avez passé votre vie dans les
châteaux vous, je vous dis pas ! »
— Ouuui, oui et puis c'est pas désagréable. Y a des gens qui
faut surtout pas leur en parler. Mais moi je dis que c'est pas
désagréable.
Au moment qu'j'ai débuté moi c'était très dur parc'que...
toute la journée : « Vous vous vous vous » sans arrêt sans
arrêt, “ Vouvou ” comme les chiens. Et puis tout le monde à
la troisième personne puis les... des courbettes quelqu'fois
le... le... y avait “ qu'ça ” juste... juste l'épaisseur d'une feuille
de papier à cigarette qu'on s'cognait pas l'menton sur les
g'noux, tandis s'que maintenant...
— Les traditions se perdent, je vous dis pas.
— D'accord... »