7 MERDALOR ( PEPERE) J. Margueritte vers la salle : « Si j'm'en souvenais ! J'm'en souviens comme si c'était d'hier... J'étais à souper chez ses parents à la Louise... » À la jeune femme : « Elle s'appelle maintenant Louise Soupot, à l'époque c'était Louise Bonardo, c'est encore son nom de jeune fille, à l'heure que je vous parle... C'est après le dessert que ça m'avait pris la fameuse crise, la crise de rire. » Vers la salle : « Pour commencer on a mangé, un potage poireaux pommes de terre, pour commencer. Vraiment très bon, le potage poireaux pommes de terre, (il met son pouce en avant) esstra ! Même que Pépère a commencé à se faire disputer par sa fille, rapport aux “ SLURPS ” qu'il faisait avec la bouche et qui gênaient tout le monde pour écouter le poste. Faut dire aussi, que le Pépère avec ses Slurps, il y allait pas de main morte. Il avait même pas encore fini de tremper sa cuillèredans son écuelle qu'il était déjà parti à faire “SLUUUURP” avec sa bouche. Alors évidemment, la... la cuillère, la cuillère était même pas encore arrivée à destination de sa bouche, que le Pépère était déjà à cour de souffle, alors il pouvait plus aspirer. Et même si la cuillère avait presque tout perdu en cour de route, rapport à sa main qui tremblait, le peu qui y restait encore ça pouvait passer que de travers, et Pépère n'arrêtait pas de s'étouffer. N'importe comment, il... » La jeune femme : « Il faisait pas bon de se trouver en face de lui, bonjour ! » J. Margueritte à la jeune femme : « Sa moustache restait encore suffisamment garnie pour faire un peu écran. Enfin je suis médisant. J'l'aimais bien Pépère, ça a toujours été un brave homme. Il avait bien connu mes parents nourriciers, mais enfin je reconnais que sa fille était peut-être un peu sévère avec lui, mais il faut aussi la comprendre. « Nom d'un chien Pépère ! sa fille lui a dit, si tu crois que c'est agréable de manger avec toi, en face de toi ! » Elle était pas contente. Elle lui a dit : « Tu peux vraiment pas t'arranger pour faire “ Slurp ” simplement comme tout le monde. Où c'est qu't'as appris à manger ? C'est pas la porcherie ici ! » Pépère, lui, il continuait à faire “SLUUUURP” comme s'il entendait rien. » À la salle : Enfin bref, on a mangé du cuisseau d'chevreuil pour continuer. C'est là où le Pépère s'est encore refait disputer par sa fille quand'te on mangeait le cuisseau du chevreuil. C'est le père Bonardo qui l'avait abattu la semaine d'avant dans les bois de Vernon, une chasse privée que qu'est vraiment pas chère, toujours encore maintenant, même actuellement aujourd'hui. Attention, n'y va pas qui veut. Y a le Charles Grallu, le grainetier de la place Saadi Carnot, y a... Monsieur Petitjean, un gros bonnet qui travaille à la préfecture, y a aussi... Albert Léonard du “ Chapeau Rouge ”, le Bernard Mingot de la coopérative et encore d'autres que je connais pas tous les noms, mais rien que des huiles triées sur le volet… Y allaient aussi, mais y vont plus, des amis à moi : le Docteur Dulot qui a sa clinique maintenant, mais il travaille plus. Y allait mais y va plus, Noël Duterrier qu'est passé sénateur à présent. Qui d'autre... ? ( il réfléchit ) C'est drôle que Duterrier il est devenu, il est devenu bête d'un seul coup, il est devenu plus rien du tout. C'est, c'est un monde de voir ça, l'intelligence où ça peut pousser... L'intelligence peut pousser une personne à devenir cinglée. Moi c'est pour ça, j'suis né un peu couillon, j'prend d'l'intelligence en grandissant. (Rire) Enfin bref, le Pépère... on en était à manger le chevreuil du père Bonardo... Je sais pas si vous avez déjà mangé du chevreuil ? Celui là était vraiment fameux. (Il lève le pouce) Esstra ! En fait de chevreuil c'était un... un panaché... un panaché chevreuil sanglier avec des pommes lorettes acompagné d'un panaché haricots verts flageolets. Un régal! Vraiment... (il met son pouce en avant) Mais vraiment. Pas de salade mais les plats ont quand même été repassés deux fois. Enfin j'abrège. Par parenthèse, il y avait la Martine, une cousine ou quelque chose comme ça, qui faisait le service de table, elle est maintenant à Chatelreault, elle me dit en cachette : « Zoseph ze suis très z'embêtée... », la pauvre c'est pas un cheveux qu'elle avait sur la langue mais bien une touffe de poils. Je lui dis : « Qu'est-ce donc qui te tracasse comme ça ? » Elle me dit qu'elle était embêtée parce que, elle disait que sur le plat, elle savait pas comment reconnaître la différence entre un morceau de chevreuil et un morceau de sanglier. Je vais pour lui expliquer, “ Martine, ma petite Martine, pour distinguer un morceau de chevreuil d'un morceau de sanglier il faut... ” C'est juste à ce moment qu'il y a Pépère qui se lève en marmonnant qu'il avait très besoin d'aller au petit coin. Alors évidemment il y a sa fille qui lui a crié dessus : « Pépère ! ça se fait déjà pas de se lever au milieu du repas en temps ordinaire, mais quand'te il y a des invités tu pourrais au moins attendre d'y être arrivé, au coin, avant d'commencer à déballer tout ton attirail ! Ça fait vraiment mauvais genre ! » Ça c'était son jour au Pépère. C'était d'autant pas son jour que le pauvre s'est encore refait crier dessus à son retour, à cause qu'il avait pas fini de tout réemballer vu que le pauvre, il était était pressé de retourner à table par peur de rater le dessert. Dans l'interlude j'avais eu le temps d'expliquer à la Martine à reconnaître la différence qu'il y avait entre le chevreuil et le sanglier. “ Martine, ma petite Martine, pour distinguer un morceau de chevreuil d'un morceau de sanglier il faut vraiment pas avoir les yeux qui sortent de la cuisse de Polytechnique pour y voir... ” j'y ai dit. J. Margueritte à la jeune dame: «Vous vous devez y savoir, mais elle, elle y savait pas. Allons donc ! Vous m'diriez que vous y savez pas, que je vous croirait pas...» — ? — Je crois que vous voulez me faire marcher ! mais je vous en veux pas. Le chevreuil, la viande est beaucoup moins rouge que celle du sanglier voyons... ! Même s'il est tué au couteau. » J Margueritte à la salle : Bref. Comme dessert on a eu droit à des pêches au vin rouge pour terminer. Vraiment... (il met son pouce en avant) succulentes. Esstra ! Et... pour en finir, pour en finir on avait eu le temps de prendre le café mouillé, on en était au pousse café que le Pépère, lui, il en était toujours au dessert. Même qu'il avait recommencé à faire « SLUUUURP ! » rapport au jus des pêches, mais sur la fin ça s'était calmé vu qu'il avait commencé à sucer les noyaux. C'est alors, c’est alors que le Louis Bonardo, le père à la Louise, il en vient à raconter une histoire pas piquée des hannetons. Pas une histoire du même genre de celle du fils Deveaut, mais drôle quand même, puisqu'il l'avait lue je crois bien... je crois bien dans... dans... dandandan... dans l'almanach. Elle était tellement drôle que j'ai pas pu me retenir d'éclater, éclater de rire, vous aurez compris. Et comme c'était parti, impossible que j'm'arrête d’autant plus qu'à la fin tout le monde était plié en deux... En deux : de rire. De rire mais plié tout de même. Jusqu'au Pépère… Jusqu'au Pépère qui pouvait pas avoir entendu l'histoire rapport à ses oreilles. Jusqu'à lui — une supposition à nous voir dans l'état où nous on était — jusqu'à lui il s'était mis à partir lui aussi. Partir à rire. La contagion c'est contagieux. Et comme pépère s'était mis à tousser encore plus qu'à l'habitude ça a relancé la rigolade de plus belle, même sa fille... On a rigolé, ça a bien tourné encore un quart d'heure, un quart d'heure montre en main. J'exagère pas. Bref quand'te on s'est arrêté tellement on en pouvait plus de rire, le Pépère lui il était toujours encore écroulé. Ecroulé sous la table... Alors là évidemment il s'est refait redisputer une fois à nouveau à cause qu'il savait vraiment plus se tenir et que cette fois c'était bien la dernière fois qu'il mangerait à table quand'te il y aurait des invités ! Elle croyait pas si bien dire... Il a fallu qu'on s'y mette à plusieurs pour le sortir d'en dessous tellement il était plié en quatre. Le Pépère était mort... » La jeune femme : « Mort de rire.» — ... Mort de rire d'accord... mais vraiment mort. Merd'alors, raide mort le Pépère... ! — Bonjour ! — On a beau dire, ça jette comme on dirait un froid ces choses là. — Bonjour pour l'ambiance ! — On est allé le mettre sur son lit. On est retourné finir la bouteille de champagne qu'on avait débouchée au dessert, pour pas perdre. On en a redébouchée une autre rapport à ce qu'il y en avait pas assez pour tout le monde. On a repris café mouillé, pousse-café, re-repousse-café en attendant l'docteur. Le père Louis à sorti une bouteille de prune du temps du Pépère, de derrière les fagots, avant qu'le docteur se rentre, mais le cœur n'y était plus. Tout ça pour une histoire de l'almanach. » La jeune femme : « Et c'était quoi l'histoire ? — Ça j'm'en souviens pus. J'm'en souviens pus... Ça devait parler... ça devait parler de... de... de poêle, de tuyaux et de matelas quelque chose comme ça. Une histoiez drôle il faut bien le dire, mais n'importe comment pas aussi drôle que celle du fils Deveaut que la Louise venait de me raconter et qui m'a fait tellement rire. La Louise me dit : « Tu me diras pas, qu’on lui avait pourtant toujours bien dit, au Pépère, “ Pépère, il faut jamais... jamais... jamais sucer les noyaux. ” Remarque il fallait bien qu'il meure d'une façon ou d'une autre. » C'est vrai que n'importe comment, présentement, il serait mort de toute façon. Quel âge ça lui ferait donc... ? 109/110... ? Enfin bref. Y en a qui dise, “ mourrir de rire, c'est une belle mort... ” Peut-être bien. Moi j'dirais que c'est une drôle de mort, même si c'est pas drôle.