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MERDALOR
( PEPERE)
J. Margueritte vers la salle :
« Si j'm'en souvenais ! J'm'en souviens comme si c'était
d'hier...
J'étais à souper chez ses parents à la Louise... »
À la jeune femme :
« Elle s'appelle maintenant Louise Soupot, à l'époque c'était
Louise Bonardo, c'est encore son nom de jeune fille, à
l'heure que je vous parle...
C'est après le dessert que ça m'avait pris la fameuse crise,
la crise de rire. »
Vers la salle :
« Pour commencer on a mangé, un potage poireaux
pommes de terre, pour commencer. Vraiment très bon, le
potage poireaux pommes de terre, (il met son pouce en
avant) esstra !
Même que Pépère a commencé à se faire disputer par sa
fille, rapport aux “ SLURPS ” qu'il faisait avec la bouche et
qui gênaient tout le monde pour écouter le poste.
Faut dire aussi, que le Pépère avec ses Slurps, il y allait pas
de main morte. Il avait même pas encore fini de tremper sa
cuillèredans son écuelle qu'il était déjà parti à faire
“SLUUUURP” avec sa bouche.
Alors évidemment, la... la cuillère, la cuillère était même pas
encore arrivée à destination de sa bouche, que le Pépère
était déjà à cour de souffle, alors il pouvait plus aspirer.
Et même si la cuillère avait presque tout perdu en cour de
route, rapport à sa main qui tremblait, le peu qui y restait
encore ça pouvait passer que de travers, et Pépère n'arrêtait
pas de s'étouffer.
N'importe comment, il... »
La jeune femme :
« Il faisait pas bon de se trouver en face de lui, bonjour ! »
J. Margueritte à la jeune femme :
« Sa moustache restait encore suffisamment garnie pour
faire un peu écran.
Enfin je suis médisant. J'l'aimais bien Pépère, ça a toujours
été un brave homme. Il avait bien connu mes parents
nourriciers, mais enfin je reconnais que sa fille était peut-être
un peu sévère avec lui, mais il faut aussi la comprendre.
« Nom d'un chien Pépère ! sa fille lui a dit, si tu crois que
c'est agréable de manger avec toi, en face de toi ! »
Elle était pas contente.
Elle lui a dit :
« Tu peux vraiment pas t'arranger pour faire “ Slurp ”
simplement comme tout le monde. Où c'est qu't'as appris à
manger ? C'est pas la porcherie ici ! »
Pépère, lui, il continuait à faire “SLUUUURP” comme s'il
entendait rien. »
À la salle :
Enfin bref, on a mangé du cuisseau d'chevreuil pour
continuer.
C'est là où le Pépère s'est encore refait disputer par sa fille
quand'te on mangeait le cuisseau du chevreuil.
C'est le père Bonardo qui l'avait abattu la semaine d'avant
dans les bois de Vernon, une chasse privée que qu'est
vraiment pas chère, toujours encore maintenant, même
actuellement aujourd'hui.
Attention, n'y va pas qui veut. Y a le Charles Grallu, le
grainetier de la place Saadi Carnot, y a... Monsieur Petitjean,
un gros bonnet qui travaille à la préfecture, y a aussi... Albert
Léonard du “ Chapeau Rouge ”, le Bernard Mingot de la
coopérative et encore d'autres que je connais pas tous les
noms, mais rien que des huiles triées sur le volet…
Y allaient aussi, mais y vont plus, des amis à moi : le
Docteur Dulot qui a sa clinique maintenant, mais il travaille
plus. Y allait mais y va plus, Noël Duterrier qu'est passé
sénateur à présent. Qui d'autre... ? ( il réfléchit )
C'est drôle que Duterrier il est devenu, il est devenu bête
d'un seul coup, il est devenu plus rien du tout. C'est, c'est un
monde de voir ça, l'intelligence où ça peut pousser...
L'intelligence peut pousser une personne à devenir cinglée.
Moi c'est pour ça, j'suis né un peu couillon, j'prend
d'l'intelligence en grandissant. (Rire)
Enfin bref, le Pépère... on en était à manger le chevreuil du
père Bonardo...
Je sais pas si vous avez déjà mangé du chevreuil ? Celui là
était vraiment fameux. (Il lève le pouce) Esstra ! En fait de
chevreuil c'était un... un panaché... un panaché chevreuil
sanglier avec des pommes lorettes acompagné d'un
panaché haricots verts flageolets.
Un régal! Vraiment... (il met son pouce en avant) Mais
vraiment.
Pas de salade mais les plats ont quand même été repassés
deux fois. Enfin j'abrège.
Par parenthèse, il y avait la Martine, une cousine ou quelque
chose comme ça, qui faisait le service de table, elle est
maintenant à Chatelreault, elle me dit en cachette : « Zoseph
ze suis très z'embêtée... », la pauvre c'est pas un cheveux
qu'elle avait sur la langue mais bien une touffe de poils. Je
lui dis :
« Qu'est-ce donc qui te tracasse comme ça ? »
Elle me dit qu'elle était embêtée parce que, elle disait que
sur le plat, elle savait pas comment reconnaître la différence
entre un morceau de chevreuil et un morceau de sanglier.
Je vais pour lui expliquer, “ Martine, ma petite Martine, pour
distinguer un morceau de chevreuil d'un morceau de sanglier
il faut... ” C'est juste à ce moment qu'il y a Pépère qui se lève
en marmonnant qu'il avait très besoin d'aller au petit coin.
Alors évidemment il y a sa fille qui lui a crié dessus :
« Pépère ! ça se fait déjà pas de se lever au milieu du repas
en temps ordinaire, mais quand'te il y a des invités tu
pourrais au moins attendre d'y être arrivé, au coin, avant
d'commencer à déballer tout ton attirail ! Ça fait vraiment
mauvais genre ! »
Ça c'était son jour au Pépère.
C'était d'autant pas son jour que le pauvre s'est encore refait
crier dessus à son retour, à cause qu'il avait pas fini de tout
réemballer vu que le pauvre, il était était pressé de retourner
à table par peur de rater le dessert.
Dans l'interlude j'avais eu le temps d'expliquer à la Martine à
reconnaître la différence qu'il y avait entre le chevreuil et le
sanglier.
“ Martine, ma petite Martine, pour distinguer un morceau de
chevreuil d'un morceau de sanglier il faut vraiment pas avoir
les yeux qui sortent de la cuisse de Polytechnique pour y
voir... ” j'y ai dit.
J. Margueritte à la jeune dame:
«Vous vous devez y savoir, mais elle, elle y savait pas.
Allons donc ! Vous m'diriez que vous y savez pas, que je
vous croirait pas...»
— ?
— Je crois que vous voulez me faire marcher ! mais je vous
en veux pas.
Le chevreuil, la viande est beaucoup moins rouge que celle
du sanglier voyons... ! Même s'il est tué au couteau. »
J Margueritte à la salle :
Bref. Comme dessert on a eu droit à des pêches au vin
rouge pour terminer. Vraiment... (il met son pouce en avant)
succulentes. Esstra !
Et... pour en finir, pour en finir on avait eu le temps de
prendre le café mouillé, on en était au pousse café que le
Pépère, lui, il en était toujours au dessert. Même qu'il avait
recommencé à faire « SLUUUURP ! » rapport au jus des
pêches, mais sur la fin ça s'était calmé vu qu'il avait
commencé à sucer les noyaux.
C'est alors, c’est alors que le Louis Bonardo, le père à la
Louise, il en vient à raconter une histoire pas piquée des
hannetons.
Pas une histoire du même genre de celle du fils Deveaut,
mais drôle quand même, puisqu'il l'avait lue je crois bien... je
crois bien dans... dans... dandandan... dans l'almanach. Elle
était tellement drôle que j'ai pas pu me retenir d'éclater,
éclater de rire, vous aurez compris.
Et comme c'était parti, impossible que j'm'arrête d’autant
plus qu'à la fin tout le monde était plié en deux... En deux :
de rire. De rire mais plié tout de même.
Jusqu'au Pépère…
Jusqu'au Pépère qui pouvait pas avoir entendu l'histoire
rapport à ses oreilles. Jusqu'à lui — une supposition à nous
voir dans l'état où nous on était — jusqu'à lui il s'était mis à
partir lui aussi. Partir à rire.
La contagion c'est contagieux. Et comme pépère s'était mis
à tousser encore plus qu'à l'habitude ça a relancé la rigolade
de plus belle, même sa fille...
On a rigolé, ça a bien tourné encore un quart d'heure, un
quart d'heure montre en main. J'exagère pas.
Bref quand'te on s'est arrêté tellement on en pouvait plus de
rire, le Pépère lui il était toujours encore écroulé. Ecroulé
sous la table...
Alors là évidemment il s'est refait redisputer une fois à
nouveau à cause qu'il savait vraiment plus se tenir et que
cette fois c'était bien la dernière fois qu'il mangerait à table
quand'te il y aurait des invités !
Elle croyait pas si bien dire...
Il a fallu qu'on s'y mette à plusieurs pour le sortir d'en
dessous tellement il était plié en quatre. Le Pépère était
mort... »
La jeune femme :
« Mort de rire.»
— ... Mort de rire d'accord... mais vraiment mort. Merd'alors,
raide mort le Pépère... !
— Bonjour !
— On a beau dire, ça jette comme on dirait un froid ces
choses là.
— Bonjour pour l'ambiance !
— On est allé le mettre sur son lit. On est retourné finir la
bouteille de champagne qu'on avait débouchée au dessert,
pour pas perdre.
On en a redébouchée une autre rapport à ce qu'il y en avait
pas assez pour tout le monde.
On a repris café mouillé, pousse-café, re-repousse-café en
attendant l'docteur.
Le père Louis à sorti une bouteille de prune du temps du
Pépère, de derrière les fagots, avant qu'le docteur se rentre,
mais le cœur n'y était plus.
Tout ça pour une histoire de l'almanach. »
La jeune femme :
« Et c'était quoi l'histoire ?
— Ça j'm'en souviens pus. J'm'en souviens pus... Ça devait
parler... ça devait parler de... de... de poêle, de tuyaux et de
matelas quelque chose comme ça.
Une histoiez drôle il faut bien le dire, mais n'importe
comment pas aussi drôle que celle du fils Deveaut que la
Louise venait de me raconter et qui m'a fait tellement rire.
La Louise me dit :
« Tu me diras pas, qu’on lui avait pourtant toujours bien dit,
au Pépère, “ Pépère, il faut jamais... jamais... jamais sucer
les noyaux. ” Remarque il fallait bien qu'il meure d'une façon
ou d'une autre. »
C'est vrai que n'importe comment, présentement, il serait
mort de toute façon.
Quel âge ça lui ferait donc... ? 109/110... ? Enfin bref. Y en a
qui dise, “ mourrir de rire, c'est une belle mort... ” Peut-être
bien. Moi j'dirais que c'est une drôle de mort, même si c'est
pas drôle.