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MERDALOR
( CLOTURE )
J. Margueritte vers la salle :
«Je lui ai dit que oui, j’avais presque toujours travailé dans
les châteaux.
J'me souviens, quand'te je travaillais au Château de
Fontville, la fille du Général de Soblignac, Anne la fille la plus
jeune, elle m'appelait “notre Joseph national”. »
Le Général avait peur que ça m'vexe.
Sa fille lui a dit : «Ecoutez papa faut pas vous fâcher, Joseph
y trouve bien. Parlez lui en, vous allez voir c'qu'il va vous
dire.»
Il m'a dit : « Oui, ma fille a p't'être bien raison ; maître
d'hôtel, fonction d'garde et puis cultivateur, eh eh eh
appelez-vous comme vous voulez, vous êtes national
Joseph. Si l'drapeau est tout noir ou tout blanc ou tout rouge,
vous êtes national quand même. »
Bref pour vous en finir... J'en était à dire à la jeune dame que
je revenais de Chaumot... »
La jeune dame :
« Il m’a dit qu’il s’était rendu dans une ferme et qu’il avait
regretté de pas avoir mis ses bottes. »
J. Margueritte à la jeune dame :
« C'est des bottes, elles sont increvables ! je les ai quand
même payées 5 Mille chez Monsieur Lapaire le marchand de
chaussures de Cormilly, du temps où j'étais encore chez le
Comte et la Comtesse de Brinville.
Vous me croirez pas si vous voulez mais elles ont bien 15
ans ! Non j'exagère, mais elles ont quand même bien fêté
leurs 12 ans c'est sûr.
Elles sont plus toutes jeunes mais elles me servent encore
bien des fois ; et j'ai pas honte à le dire. J'irais pas jusqu'à
aller à la pêche avec, mais elles me servent encore bien…
Vers la salle :
« C'est comme les cuissardes.
J'ai acheté une paire de cuissardes pour aller à la truite.
Cyrano mon copain l'coiffeur il en avait une... une paire, des
Mitchels. Mais alors du... du caoutchouc, jusqu'en d'sous
l'genoux, puis l'reste c'est d'la... d'la toile caoutchoutée.
L'premier coup qu'il va à la pêche, il s'accroche merd'alors :
enlevées. Je rigole mais c'est pas drôle.
J'dis :
« Combien qu't'as payé ça ?»
M'a dit :
« J'les ai payées 8 Mille.»
Bein, j'ai dis, oui, et pi mes “ Chameau ” moi j'les ai payées...
mes bottes “le Chameau” j'les ai payées... Elles coûtent
aujourd’hui ...— 17 Mille.
Seulement j'ai dis tu vois, tu vas racheter une paire de “ Le
Chameau ” 17 Mille, t'as qu'à voir combien qu'ça t'fait ta
paire de cuissardes !
Alors aux 17 Mille il faut rajouter les 8 Mille... 17 Mille, 8 Mille
25 Mille une paire de bottes ! »
Ah ! il m'dit, oui.
N'importe comment souventes fois c'est bon marché, on croit
faire une affaire mais à tout bien réfléchir c'est pas toujours
bon à prendre.
Moi pour mon linge je m'sers toujours chez Bernini.
Je sais qu'avant j'me servais chez son prédécesseur,
Bernini a repris la maison j'ai continué chez lui, j'y gagne. Au
bout du compte j'm'y retrouve.
Dimanche dernier, au bar de l'Union, y avait Bernini.
Il m'dit comme ça :
« Magui écoute-moi... Écoute moi Magui, tu m'a dis l’autre
jour qu't'en a pas besoin de l'anoraxe que j't'ai essayé.
J'sais qu't'es gêné de c'moment... Si tu veux pas l'emporter
sans m'payer, ça m'gêne pas... j'te l'garde, il dit. J'te garde tu
viens l'chercher dans 15 jours ! »
Oh ! puis d'un seul coup j'lui dis :
« On est pas à cinquante / quatre vingt francs près sur le
carnet d'chèque ! J'vais t'faire un chèque, j'sais pas s'il est
alimenté ou pas, mais enfin s'il est pas alimenté il y a qu'toi
qui l'saura. »
Puis d'un seul coup j'entends l'autre, un type qui traine
souvent au café qui dit :
« Ca y est Berni y est arrivé. »
J'y ai dis :
« Ecoutez donc... occupez-vous donc d'votre linge mais
foutez donc la paix à ceux qui en achète !
Vous êtes dans un café, à l'heure qu'il est, un dimanche, un
dimanche en g'nilles [guenilles], vous voudriez p'têtre qu'on
vous en prête du linge ? Berny ! combien tu peux lui prêter,
moi j'lui prête 40 sous. »
Il répond :
« Ce serait bien de l'argent donné à un cochon. »
J'm'attendais pas à cette réflexion... bon.
Moi j'ai du linge chez moi, j'ai deux pantalons que j'ai acheté
chez Bernini. Il y a trois ans qu'ils sont là haut sur un
cintre….
Oui, j'ai quand même gagné, deux fois trois, six, c'est à dire
que j'ai, j'ai quatre pantalons maintenant, pour trois !
Eh oui ! Mais moi là j'ai fais une drôle de bêtise quand il
voulait m'en mettre deux d'plus que j'ai... Mais enfin j'vais
pas aller chercher mon bréviaire et puis chanter les
misérables...
Enfin bref...
J'en étais resté que j'étais devant la ferme au Simon Soupot.
J'avais aux pieds les chaussures basse vraiment pas chères
que j'ai achetées chez Bernini en même temps que j'étais
allé lui prendre mon anorax. Celui que j’ai s’ul’dos.
Il m'dit :“ Puis-que tu m'prends l'anorax, si tu veux j'peux
t'faire un prix pour les chaussures ” »
Il montre ses pieds à la jeune dame :
« Devinez combien je les ai payées ? Dites un chiffre...
d'abord c'est de la bonne camelote... Dites un chiffre... »
La jeune femme :
— Je ne sais pas, 100 francs ?
— Vous êtes loin. ? »
Vers la salle :
Enfin bref, j'étais devant la ferme au Six-Sous, quand'te
heureusement y a la Louise Soupot qui sortait justement des
écuries des vaches.
Elle me dit :
« Quel bon vent qui t'amène Joseph ?»
C'est pas le vent, j'lui répond, c'est pas le vent, c'est pas
l'vent c'est le Six Sous. (Rire)
— Pourquoi tu ris ?
— Je pense au Simon qui serait content si jamais il
apprenait que tu dis de lui que c'est du vent.
Elle a bien compris que je disais ça pour plaisanter, alors elle
a rigolé.
En fait je venais voir le Simon pour, rapport à la clôture du
champs de ormes pour savoir quel jour le José, le commis
des Galois doit passer pour la réparer avant qu'on y mette
les moutons.
Elle me dit :
« C'est pourquoi que tu veux le voir le Simon, Joseph ? »
Je lui dis :
« C'est rapport à la clôture du champs de ormes, pour savoir
quel jour le José, le commis des Galois doit passer p our la
réparer avant qu'on y mette les moutons.»
Et bein ne reste pas planté comme ça là d'vant la porte, il va
pas tarder, entre, elle me dit.
Pardon, elle me dit, je vois qu't'as pas de bottes aux pieds...
R'joins-moi par derrière. Tu connais l'chemin. »
Je passe par derrière.
Elle me dit :
« Heureusement que par derrière c'est sec parce que avec
tes chaussures, c'est vraiment pas des chaussures pour aller
dans la gadoue.
Et là elle me dit : je dis pas qu'elles sont pas bien. Tu les as
achetées où ? Parce que, elle me dit, y a le Simon qu'aurait
bien besoin d'une paire de chaussure pour remplacer ses
vieilles. Tu les aurais pas achetées à la foire par hasard ?
Je lui dis :
« Non, je les ai achetées chez Bernini, et puis je les ai
payées vraiment pas chères, et puis c'est vraiment de la
bonne camelote, et puis on se sent dedans comme dans des
pantoufles... »
À la jeune femme :
« Je lui ai dit le prix, 4 Mille...
J'ai comme idée qu'elle va lui en offrir une paire.
La Louise m'a dit alors :
« Assois toi donc, et elle me dit, qu'est-ce que tu dirais d'un
petit fond d'culotte avec moi en attendant le Six-Sous ? »
Ah ! je lui dis, tu me verras jamais refuser un fond d'culotte.
Vous avez pas ça chez vous ? Un fond d'culotte c'est de la
Suze avec de la liqueur de cassis...
Parce que le le le le fond d'culotte, le fond'culotte ça s'use
qu'assis...
Suze Cassis... Ne me dites pas que vous auriez pas
compris. Là vous m'faites marcher. (rire) Vous m'faites
marcher mais j'vous en veux pas.
Vers la salle :
Et puis elle me fait entrer dans la cuisine...
Alors on s'assoit, on se fait un brin de causette histoire
d'attendre le Simon.
Et c'est là, c'est là en quelque sorte où je voulais en venir,
puisque c'est là qu'elle m'a raconté l'histoire du fils Deveaut
qui m'a fait si tant rire que j'en ai encore mal de ventre.
— T'es pas malade Joseph au moins ? elle me dit.
— Malade moi, je lui dis, malade oui, mais malade de rire
Louise, malade de rire !
Alors elle me dit :
« C'est le Six Sous qui me l'a racontée. Il la tient du Cyrano
ton copain le coiffeur. Il parait, à ce qu'il parait, que ce soir là
qu'il était saoul comme un bourricot.
Mais surtout, l'histoire que je t'ai racontée, motus. Motus tu
dis surtout pas au Simon que je te l'ai racontée, il m'a
demandé de pas en parler. »
Je lui dis :
« Motus d'accord, et même bouche cousue. Tu peux faire
confiance à Joseph, il dira rein.
N'empêche Magui, elle me dit, ça t'as fait de l'effet l'histoire
que je viens d'raconter. Il y a qu'une fois que j't'ai vu dans un
pareil état, tu vois de quoi j'veux parler.
J'pense bien, je lui dis. Et ça remonte à pas d'hier.
En fait ça faisait, il y a au moins 25 ans, j'exagère pas.